Peindre à l’horizontale
Australie, Espagne
1995-1999

Nous sommes en 1995, à l’orée d’une période de voyages – deux ans en Australie à Canberra pendant le service militaire de son compagnon, puis deux ans en Espagne en tant que boursière à la Casa de Velázquez. Marion Heilmann adopte soudain l’aquarelle comme son médium de prédilection, ainsi qu’une palette de couleurs réduite, tendant à l’éclat naïf des miniatures primitives indiennes. Elle décide aussi de ne plus peindre qu’à l’horizontale, allongée à même son tableau comme une barque sur la mer, au plus près du papier autant que de la rêverie, position de travail qu’elle conservera jusqu’à la fin. Tous ces facteurs contribuent à rendre son trait plus précis et plus patient, loin des empâtements sauvages du début, et donnent à ses images une concentration nouvelle, plus illustrative, désormais pleinement au service de la narration.
La figure humaine reste néanmoins une constante. Plus précise et cernée, en voie de codification, elle demeure par sa déformation dansante un vecteur d’énergie visuelle et expressive, porteuse de multiples histoires en germe. Elle est tantôt isolée, tantôt fondue dans son élément – mais toujours le jumeau inquiet de l’infini. Certains personnages se détachent du fond comme des acteurs dans une saynète de rêve, aux prises avec l’univers océanique ou végétal (la scène de pêche de 1997, La Baleine, les carreaux rouges et bleus de 1998) ; d’autres sont abandonnés à l’ample marqueterie mouvante de l’image (Le Nageur) ou bien se multiplient au point de disparaître dans la géologie anarchique d’une grande mémoire stratifiée (le tableau panoramique rouge et vert). Les sculptures qui voient le jour à la même période sont toutes des figurines d’un spectacle qui les dépasse, inspirées des marionnettes de Klee.
Le point d’orgue de cette période, associant le lustre de l’enluminure et l’ambition cosmologique des grands formats, est sans conteste l’aquarelle du Songe du roi (1998-1999). Inspiré du livre de Daniel (la lecture rugueuse et passionnée de l’Ancien Testament accompagne l’artiste depuis l’adolescence), ce tableau narre le second rêve de Nabuchodonosor, roi de Babylone, dans lequel un arbre majestueux s’élève jusqu’au ciel, portant la nourriture du monde : c’est le symbole de sa puissance temporelle, selon le prophète Daniel, interrogé par le tyran. La nuit suivante, l’arbre sera, en rêve, coupé par ordre de Dieu, ses prétentions réduites à une souche ; mais il est représenté ici dans le fragile moment de sa plénitude au centre de l’univers, silhouette isolée poussant ses ramifications bleu nuit dans l’or du ciel, entourée de trois « pelures » qui représentent respectivement les règnes humain, animal et végétal.